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« Cristal qui songe » Theodore Sturgeon : un classique flamboyant

Ce classique de la littérature de science-fiction mérite amplement sa réputation et se lit avec toujours autant d’éclat, plus d’un demi-siècle après sa parution.

Commencé sur un mode mineur, le lecteur est cependant rapidement embarqué dans un univers étrange, proche d’un « Twin Peaks » de David Lynch, se centrant sur Horty, un jeune garçon jeté par la vie, qui vivra plusieurs métamorphoses, aussi bien extérieures qu’intérieures, pour découvrir sa nature profonde.

Horty est un jeune orphelin martyrisé par ses camarades et renvoyé de son école, car il mange des fourmis. Incapable de fournir une explication, son père adoptif le met dehors, non sans l’avoir grièvement blessé. S’en suivra pour Horty une lutte pour sa survie, sur la route d’une étrange caravane, la découverte de l’amitié et de l’amour, en même temps que de graves danger, avec comme fil rouge, des cristaux pas comme les autres…

A contrario du début chaotique pour Horty, la trame linéaire révèle une grande construction dans l’écriture, prenant par surprise le lecteur, les informations étant amenées par des flash-backs, flash-forward, point de vue d’autres personnages, jusqu’à la succession de révélations qui font autant « songer » que réfléchir, où le hasard n’a plus sa place. Le point fort demeurant la vie des personnages, donnant chair à une histoire profondément universaliste, sur le don de soi, la transcendance du sacrifice pour une grande cause, et la prise en main de son destin. Les allégories sur la liberté par les fameux « cristaux » nous plongent dans les grands archétypes, entre la lutte acharnée du pouvoir contrôlant, et le lâcher-prise offrant la liberté après un long chemin de transformation.

Auteur réputé mais peu prolixe, Theodore Sturgeon mérite que l’on s’attarde sur son oeuvre , et ce cristal qui imprime l’esprit …

« Battlestar Galactica » de Ron D.Moore : Le voyage intérieur

Voici une série de science-fiction peu banale, due à David Eick et surtout son créateur-scénariste, Ronald D.Moore, particulièrement intéressé à développer une structure métaphysique à ses récits, avec un grand développement de personnages, qui traversent des étapes initiatiques qui les changeront, faisant écho aux tumultes de la vie intérieure. Il est assez rare en effet qu’un support télévisuel creuse aussi profond, interpellant le spectateur sur le sens de la vie humaine, la création, les valeurs, les idéaux, et comment changer lorsque les évènements nous y poussent, en étant honnête (ou pas) vis à vis de soi.

Et les personnages sont bien obligés de changer, malmenés par des évènements très dramatiques : Dans cet univers, inspirés des grands textes fondateurs, les humains vivent dans 12 planètes, appelées les « Colonies ». Ils ont créé des « Cylons », des robots qui deviennent conscients, se rebellent contre leurs créateurs, aspirent à la conscience, et décident de s’en émanciper en détruisant ces planètes. La guerre perdue, une colonne de vaisseaux d’humains est pourchassée à travers la galaxie, par ces androïdes, qui dans leurs dernières évolutions, ressemblent pourtant énormément aux humains…le chef de la flotte,un certains commandant Adama (« l’homme » en hébreux), promet alors comme solution la découverte de la 13ème colonie, qui a pris une autre direction depuis les origines, quelque part dans l’univers, et cette colonie s’appelle…la Terre.

Les survivants sont tous pris par des questions existentielles : la perte de leurs proches, leur mode de vie, leurs repères, et enfin, faire face à soi-même. Autant dire que le long des 4 saisons qui rythment ce récit immersif, ils ne seront pas épargnés.

A commencer par Adama, qui, d’emblée, se pose la question : « méritons-nous vraiment de survivre ? en créant les cylons nous avons voulu jouer à Dieu »… L’homme étant rentré dans une course à l’ubris, la décadence matérielle, dans tous les excès, voulant créer des esclaves pour ses bons services, a-t-il aussi transmis tous ses vices, qui lui reviennent à la figure ? Si la question est classique, elle est d’autant plus intéressantes que ces fameux Cylons sont traités ici comme des humains, jeunes et immatures, violents, binaires, influencés par leurs créateurs.

Pour l’amateur de science-fiction, la trame reprend le début de « Terminator » de James Cameron, avec les humains créant des machines pour se protéger, mais la machine devient consciente et décide d’éliminer l’humanité, considérant que c’est celle-ci le problème. « Blade Runner » est également une insiparation sous-jacente; tant pour l’approche des cylons que le crépuscule humain). On rappellera également la série originale de 1978 (Glen A.Larson) qui avait posé ces bases , entre mythes bibliques et space-opera.

-Les Cylons : la progéniture des humains

Malgré les apparences, tout est révolutionnaire dans cette série : les cylons ne sont pas traités comme les habituels androïdes ni même sous l’angle erratique du transhumaniste, mais bien comme des êtres vivants à part entière. Ils sont les « enfants de Dieu », « les enfants de l’Humanité » ; ils ont les attributs des premiers hommes, comme ceux des temps anciens, ils se sentent fort car protégé par le créateur, ils ont même la connaissance -technologique- de la réincarnation, sachant que lorsque leur corps est détruit, leur conscience se transfère dans un autre corps prêt à l’emploi, riche des expériences vécues. Mais les cylons ont un défaut : ils sont immatures, ne sentent pas leur force, et cultivent du ressentiment contre ceux qui les ont détaché de la divinité et les ont jeté dans ce monde physique, où dans un premier temps ils sont des outils, corvéables à merci ; tel des Caïns, ils s’abandonnent à la rancoeur, ivres d’émotions, et veulent se venger des humains. Ils sont leur Némésis.

Cependant, en s’émancipant et en prenant littéralement forme humaine, ils se fragilisent et éprouvent des sensations nouvelles : l’amour. Ont-ils bien fait de provoquer un holocauste ? éradiquer une espèce règle-t-il le problème ? rien n’est plus sûr. A tel point que certains préfèreront se mettre hors de portée de la « résurrection », vivant ainsi une vie unique, fragile, mais poursuivant leur quête d’identité.

On le voit, les cylons sont une métaphore ou un reflet de l’humain, qui dans les premiers temps adorait la chaleur bienveillante du soleil, mais qui se sentant poussé par l’évolution à faire des progrès par lui-même pour éprouver le libre-arbitre, se sent abandonné par les dieux, tel une graine qui tombe dans la terre et maudit l’arbre de ne plus le protéger, oubliant par là même sa nature à devenir lui-même un arbre.

Une des questions centrales sera d’ailleurs : les cylons sont-ils vivants ? sont-ils plus que des robots ? Ont-ils une âme ?

-Le racisme

Les humains nourrissent de leur côté un « racisme » évident , réfutant toute responsabilité. Tout est bon pour se défouler, torturer sur les cylons si on en attrappe un. Et même ceux qui préfèrent rester fidèles aux humains par choix et par sentiments, leur chemin sera comparable à un amérindien « native » du 19e siècle dans la société américaine : un chemin de croix.

Les humains caressent également l’idée d’éradiquer les cylons à l’aide d’un virus, provoquant un beau cas de conscience.

Les cylons de leur côté considèrent les humains comme mauvais par nature, irrémédiablement viciés, cancer de la galaxie

-Le prisme du terrorisme

fruit de son époque, les années 2000, les cylons ont également un côté fanatique, fous de dieu, armes du jugement, ils sont ainsi semblables à des terroristes sûrs de leur fait. Ils croient au Dieu unique, contrairement aux humains qui sont polythéistes, un panthéon inspiré de la Grèce antique. Ce sera d’ailleurs un des thèmes de la série « Caprica » qui raconte la naissance des cylons, sur les cendres de groupuscules fondamentalistes.

Là encore, l’expérience et les échecs feront mûrir certains, disant que vouloir exterminer les humains, c’est se comporter comme eux. Plus étonnant, ils pratiquent une sorte de « mysticisme technologique » , ayant le loisir de projeter leur univers intérieur, ou pensant avoir des visions du futurs. De manipulateurs à prophètes ,il n’y a qu’un pas.

Le prisme du mental

Mais malgré leurs efforts, les cylons veulent « contrôler » ; si on ne tue plus les humains, ils faut les réguler, comme pour démontrer qu’une machine est incapable de solution autre que la froide logique. Mais derrière le contrôle, il y a la peur. la peur de faire confiance aux émotions, car « de toute façon les humains ne pardonneront jamais, donc ça ne sert à rien », la peur de se faire piéger et de perdre, par calcul, ce que l’on a, alors que si on frappe d’abord….cet angle de l’impasse dans les relations est finement développée, faisant écho aux nombreux conflits entre les peuples à travers les âges…

Le thème de la rédemption

Qui dit violence dit rédemption ou du moins sa quête. De nombreux personnages prennent ainsi conscience de leur actes, aussi bien humain que cylon, de la souffrance qu’ils ont causé, des dilemmes profonds. Dans cette guerre, les cylons ont des agents dormants, qui sont « programmé » pour croire qu’ils sont humains et ainsi mieux s’infiltrer…sauf qu’ils ont l’impression de trahir leurs désormais amis, la vie qu’ils ont appris à apprécier.

Les remords poussent les acteurs principaux dans leurs retranchements, à voir clair en eux-même.

Lors d’un procès qui est un des points d’orgue de la série, il est question d’attribuer toutes les fautes à un seul humain, le traître Gaius Baltar. On a droit à une mémorable défense , fustigeant le culte du bouc émissaire, des solutions binaires , des nombreuses erreures commises et opportunément occultées. En bref, le triangle de Karpman Bourreau-victime-sauveur est mis à nu, de même que la chasse aux « collabos », grand moment de paranoia .

Et c’est à travers l’improbable Gaius Baltar que ce cheminement se fera parlant : professeur de génie, il est lâche, couard, ne pensant qu’à son intérêt, prêt à toutes les contorsions pour rester en vie, il passera par toutes les étapes, tel le fils prodigue ; menteur, arrogant, mendiant sa survie à tout les bords, démasqué, pratique du culte victimaire puis gourou , il a cependant l’étincelle de ses origines simples, il finit par ce qui lui a toujours manqué : la quête de l’honnêteté et la destruction de son personnage clinquant.

Adama : un leader à l’écoute du bien commun

Magistralement interprété par Edward James Olmos, le commandant de la flotte incarne une figure patriarcale blessée, mais solide, prêt à faire évoluer ses positions de militaire au long court pour l’intérêt du grand nombre. Il incarne une force charismatique et loyale, déterminée, mais tel un De Gaulle, misera sur l’audace et la confiance, de par son écoute discrète des problèmes de la flotte. Souvent hors cadre politique et démocratique, il perce les impasses, quitte à choquer son entourage et mettre son poste en jeu. Seules les solutions l’intéressent, et il s’y ouvre par intuition.

La quête métaphysique

Aussi bien du côté des humains que des cylons, les objectifs poursuivis vont au-delà de la survie; comme le dira Adama,  » vivre ne suffit pas. Il faut une raison de vivre. » Ainsi la Terre des légendes pour les humains, idéal qui tient la flamme de l’espoir, la découverte des origines de l’humanité sur la mystérieuse planète Kobol, qui semble confirmer les Ecritures. Les cylons sont donc persuadés d’être missionnés par le Dieu unique pour régenter l’univers (et en finir avec cette « erreur » qu’est l’humanité). Certains d’entre eux ont des flash, des visions, sorte de version mécanique de la mystique ; ces « visions » modifieront énormément leur perception de la réalité, et leurs décisions. Bien que manichéens dans leurs conclusions, les cylons s’intéressent à la psychologie, l’introspection, d’abord comme arme pour manipuler les humains, mais ensuite ces questions les travailleront. Certains, à leur tour, voudront connaître la Terre, les mythes anciens, leur destinée, continuant leur apprentissages, tels des machines s’affinant et accédant à une autre conscience.

Là encore , on notera le parallèle avec certains enseignements philosophiques orientaux comme ceux hérités de Gurdjieff, pour qui l’aspirant humain doit d’abord se rappeler qu’il est une « machine » faites d’habitudes, et se connaître avant de pouvoir prétendre changer, et progresser.

Les humains abordent la mystique d’abord parce qu’ils sont ébranlés ; leur civilisation a disparu, ils sont pourchassés, et face à leurs démons. Ainsi la très pragmatique présidente Roslyn a des visions suite à une drogue, qui correspondent aux écritures.

Cette quête éprouvera les protagonistes à travers différents voiles d’illusions, de déceptions, de doutes, comme si cette humanité était essorée avant de pouvoir connaître enfin la paix. Et c’est l’inénarrable Baltar qui affirmera voir des « anges », qu’une « force nous dépasse tous », dans une déclamation désespérée.

L’humanisme

Comme disait un humoriste français, « l’ennemi, il est bête; il croit que c’est l’autre l’ennemi, alors que c’est lui ! »

Une des richesses de cette série est de renvoyer à la réflexion du sens d’une civilisation, de son conditionnement à croire qu’elle est toujours du « bon côté » (ça tombe vraiment bien). Cela se voit hélas dans les conflits fratricides actuels, toujours justifiés par des « valeurs », des « idéaux ». Humains comme cylons ont l’un comme l’autre des pulsions génocidaires, des envies de vengeances, de frustrations. Mais Ron D.Moore traite les dilemmes des personnages avec noblesse, ils ont soif de rédemption, à force de souffrir !

Car le fil conducteur de l’histoire, c’est l’ouverture à l’autre, perçu d’abord comme de l’audace, puis de la compréhension, et enfin l’acceptation. C’est l’histoire du métissage, de la solidarité, de la résilience au sens meilleur du terme, le dépassement des préjugés pour sortir enfin des rouages sans issues.

Une chorale de personnages

C’est enfin grâce à une belle chorale de personnages que l’histoire prend vie, secondaires au départ qui prendront de l’épaisseur au fil des épisodes, avec une belle cohérence d’ensemble ; Apollo le téméraire qui brave les règles, Starbuck la rebelle écorchée au grand coeur, le loyal mais tourmenté colonel Tigh et les « numéros » de cylons qui évoluent, tels des déclinaisons d’une trajectoire incertaine ; l’iconique Numéro 6, référence au « Prisonnier », connaîtra un long chemin, de l’arrogance langoureuse à la fragilité toute humaine.

Une belle réussite visuelle et narrative

Pour voir la série « Battlestar Galactica » dans l’ordre :

-Minisérie /Pilote

-Saison 1

-Saison 2

-Film « Razor »

-Saison 3

-Saison 4

-Film « The Plan »

A noter : la série « Caprica » qui a suivi, et qui raconte en une saison la création empoisonnée des cylons 50 ans avant les évènements. On y contemple un miroir des sociétés occidentales, en perdition et perte de valeurs, qui refuse la mort et est gangrénée par le fondamentalisme et le terrorisme fanatique. Les univers virtuels sont des exutoires hyper réalistes qui permettent de vivre par procuration. La cohérence visuelle est là ainsi que les thèmes de la série. L’univers joue astucieusement sur les grands écarts technologiques, ainsi se cotoîent des voitures vintages et des vaisseaux spatiaux, ou l’équivalent d’internet s’obtient sur une feuille de papier. Malheureusement écourtée sur une saison, elle se termine cependant sur une note prophétique du plus bel effet, entre perversion et confiance aveugle à la robotique…

Pour aller plus loin, cette très bonne chaîne qui détaille en profondeur les différentes séries :

GalactiFrak

« Bienvenue à Gattaca » : Eugénisme et Humanisme

Ce petit film réalisé en 1998 et devenu culte, rejoignant le club des dystopies et oeuvres sybillines telles que « 1984 », « THX1138 » ou « Le meilleur des mondes » . Il se dénote cependant par son observation très fine du contexte actuelle, son humanisme prégnant, et bien que datant de 24 ans, il est -hélas- plus que jamais d’actualité.

Loin des univers cliniques et froids précités, l’oeuvre semble de prime abord proche d’Aldous Huxley. Il décrit un monde très organisé, où la technologie et la génétique régissent les humains ; la règle étant de priviliégier les humains modifiés et avec implants technologiques, seuls eux accédant aux meilleures places. Les parents réfutant ces règles et accouchant de façon naturelle sont mis à l’écart, et leurs enfants, sont considérés comme inférieurs, pas fiables, sujets à maladies.

a partir de ce postulat, le personnage principal, fatalement issu d’une famille de paria, a un rêve inaccessible : devenir astronautes et partir en fusée avec l’élite des étudiants. Chose impossible étant donné le npmbre de contrôle incessant à passer ; portiques, contrôles adn, cardiaques,…

La trajectoire de Jerome Morrow, brillamment interprété par Ethan Hawke, est limpide, voire christique : bravant avec humilité et pugnacité toutes les épreuves, couvert par une fausse identité, il met en échec cette société si parfaite, qui pourtant n’arrive pas à le détecter, et le considère comme l’un des meilleurs.

Dans un monde sans libre arbitre, mécanique, son courage réveille l’entraide, la fraternité, les valeurs humaines chez certains. La foi et la pureté de ses intentions, archétype de l’humain cherchant à savoir pourquoi il vit, embrassant un idéal et tentant de l’accomplir, est à l’opposé ce cet eugénisme roboratif, érigeant la science en dogme.

L

es parallèles avec les crises actuelles et la tentation eugéniste sont pour le moins frappant. Si le film faisait réfléchir à sa sortie, pouvant être apprécié par sa justesse de ton, aujourd’hui il fait peur. Car il faut bien constater qu’une partie des gouvernants, lobbies de l’industrie, exploitant consciemment ou non la peur, penchent vers ces solutions qui parlent au mental et étouffent l’esprit et le coeur. Au nom du bien, on évince des humains, certains ne remplissant pas des conditions arbitraires ne peuvent plus accéder aux soins, aux hôpitaux. Des médecins, sans aucun respect pour le serment d’hippocrate et hors légalité, refusent des patients qui refusent des injections expérimentales. Certains même ne cachent pas des intentions belliqueuses (« A la fin de l’hiver il n’y aura plus que des vaccinés ou des morts », entendt- on à la télévision française) . Chantages et flatteries se succèdent. L’union européenne, de façon tout aussi arbitraire, projette de conditionner la vie des citoyens par un portefeuille numérique. En Australie, la reconnaissance faciale pour accéder à des services internets est testée. Ne parlons pas de la Chine et ses visions apocalyptiques d’êtres humains traqués dans leur propre immeuble par des personnages habillés en costumes nucléaires.

Cependant, des groupes se forment, de médecins réfractaires, de citoyens, créent des associations de soutiens aux exclus, des journalistes ou scientifiques indépendants partagent le fruit de leurs enquêtes, les manifestations et évènements contestataires se succèdent. La réalité dépassant la fiction, l’humanité est maintenant à la croisée des chemins ; voulons-nous vraiment engendrer un monde « à la Gattaca » pour en comprendre l’absurdité, et en sortir après moultes impasses et souffrances ? voulons-nous continuer à jouer les Icares ou les peureux de la caverne de Platon, trompés par des ombres sophistiquées ?

Ou écouterons-nous cette voix intérieure, qui donne des élans au coeur et nous rapproche, nous rend audacieux ?

La relecture de ce film d’Andrew Niccol, pour subjective qu’elle soit, est toujours aussi prenante et porteuse d’espoir…

« V » de Kenneth Johnson : une minisérie inspirée et prophétique

La série « V » avait marqué les esprits au débuts des années 80, une histoire percutante du créateur Kenneth Johnson, qui avait voulu d’abord rendre hommage à la résistance, comme le générique le souligne. Cependant la veine pamphlétaire est clairement établie, du moins jusqu’au deux premières miniséries supervisées par Johnson. Ensuite, malgré le succès critique et public, il fut écarté du projet, et si l’histoire se clôt honnêtement en téléfilms de qualité , on ne pourra pas en dire autant de la série TV au format classique, perdant l’âme du sujet au fil des épisodes sans fin.

Revenons à l’histoire d’origine, basée sur une manipulation sophistiquée sur laquelle il y a tant à dire et porteuse de messages inspirés, qui, sans extrapoler, font allusion aussi bien au régime nazi, aux soviets, mais surtout à tout désir d’exploitation et de mise en esclavage au nom du profit et de la survie. La subtilité du récit vient du fait que cette « colonisation » des esprits se fait non pas par les armes et le conflit militaire, mais par la séduction et les promesses ;

Ainsi, ces « Visiteurs » débarquent sur Terre pleins de bonnes intentions : ils nous ressemblent, sont ravis d’avoir trouvé une civilisation, et sont prêts à échanger leurs technologies et leurs solutions médicales pour soigner les pires maladies de notre planète, en échange de bons procédés altruistes et d’un accès particulier à l’eau…Un vent d’espoir traverse le monde, les NationsUnies sont sollicitées. Les visiteurs appellent les jeunes terriens à les rejoindre et les enseigner…

Cependant des scientifiques demeurent sceptiques, certains disparaissent, et beaucoup sont accusés de fomenter un complot contre les visiteurs, afin de ne pas perdre leurs privilèges. Aidés par les médias, une hystérie collective s’empare de la société, et les scientifiques sont désormais pourchassés, leurs familles attaquées, et doivent désormais se cacher . Tandis qu’une minorité d’humain commence à comprendre que les visiteurs sont bien plus agressifs qu’ils n’en ont l’air et ont des desseins cachés, les médias deviennent partisans et stimulent une véritable propagande suite à des attentats contre les visiteurs; mais sont-ce vraiment des attentats ou des manipulations ?

Et le monde bascule alors sous un nouvel ordre : sous prétexte de la gravité des attentats et de la menace qui pèse sur les visiteurs et le futur, un couvre-feu général est mis en place avec la collaboration des gouverments terrestres, et rapidement les visiteurs prennent le contrôle avec leurs forces armées.

Kenneth Johnson exploite à merveille les possibilités d’un conflit paranoiaque avec un adversaire ayant décidé de s’attaquer aux faiblesses psychologiques des humains. Cet extrait montre bien la montée de la tension, quand la peur envahit les esprits et que la dictature se met en place :

Une des forces de la série est d’avoir structuré l’histoire en « orchestre » de personnages, assurant ainsi une large variété de point de vue, donnant vie et émotions aux enjeux dramatiques. Un des personnages servant néanmoins de fil rouge, le journaliste Mike Donovan (interprété par Marc Singer) découvre au risque de sa vie et de sa réputation calomniée les véritables intentions des visiteurs, devenant un pilier de la résistance naissante. Une scène entre lui et sa mère, riche héritière toute acquise à la cause des visiteurs, vaut tous les discours .

Donovan : « Ne me dis pas que tu ne vois pas ce qui se passe »

La mère : « bien sûr que le vois, je ne suis pas idiote, les visiteurs ne sont pas des saints, mais ce sont eux qui commandent maintenant, il faut être du bon côté, et tu ferais bien d’en faire autant », lui propose-t-elle en substance. Ce à quoi répond avec toute son humanité Donovan :

« je ne peux pas être heureux au dépend de mes semblables, ce serait trop injuste ».

journaliste intègre, une espèce traquée

Les visiteurs assumant désormais leur pouvoir, l’histoire se répète à grande échelle, et on retrouve la délation, la collaboration, la soumission, et la résistance des esprits, las en minorité. Afin de se protéger des « terroristes », des pass sont accrédités pour pouvoir rentrer aux évènements importants, des milices se mettent en place et humilient gratuitement les citoyens. Jusqu’au boutiste, Mike Donovan tentera encore de convaincre son ex partenaire Christine Walsh, désormais porte-parole des visiteurs. Lui racontant ce qu’il a vu sur les vaisseaux-mère, l’apparence non humaine des visiteurs, Walsh tentera de se défendre : » Mais enfin Mike, je fais mon travail d’information toujours avec eux, il m’est difficile…. – « D’être objective » terminera-t-il sa phrase à sa place.

Cet autre échange entre un scientifique et la journaliste flattée par les envahisseurs résume combien le pouvoir est une ivresse qui flatte les intriguants et endort les consciences. Le collaborateur se ment à lui-même et feint la posture victimaire :

On aurait bien aimé que tout ceci ne soit qu’une fiction qui fait réfléchir. Hélas au vu des derniers mois, et toutes proportions gardées face au contexte d’une épidémie, il est difficile de ne pas reconnaitre de nombreux stigmates entre l’attitude d’une certaine presse face au pouvoir, qu’il soit celui de l’état ou d’une multinationiale. En cela, « V » portait un message visionnaire et universaliste, en puisant dans le passé récent dont on ne retient pas les leçons.

« Nous serons amis de gré ou de force »

L’emprise psychologique est au coeur des deux premières miniséries qui nous intéressent particulièrement. Au-delà de l’arsenal intéressant de science-fiction, avec un programme de « conversion » des cerveaux, les stratagèmes pour affaiblir l’humain sont omniprésents ; on ajoutera le chantage, le harcèlement, la lâcheté, la culpabilité, comme ce père obligé de trahir une base de résistants par peur de perdre ses proches et (fausses) promesses de les revoir. Tout aussi admirable l’esprit héroique au sens pur qui anime cette fiction. Les résistants sont des gens normaux, ils pleurent, ont eu peur « du premier jusqu’au dernier », mais tous ont fait des choix et se révèlent dans des situations d’exception.

L’intrigue bien construite prévoyait même un espoir venu d’ailleurs, les visiteurs ayant un ennemi, que les humains tentent de contacter en envoyant un message dans l’espace. Las encore, cette idée prometteuse n’a pas été retenue par les repreneurs de la série, préférant le terre-à-terre de l’action et des ressorts habituels de l’époque. Kenneth Johnson n’a pourtant jamais abandonné sa série, et en a écrit sa suite personnelle sous forme de roman (« V The second coming », disponible en anglais) , restant fidèle à son inspiration première. Une remake a été tenté en 2009, sans Johnson et sans succès non plus. De multiples tentatives de projets de films sont toujours portés depuis de longues années sans qu’on en voie la concrétisation. Critiquer le pouvoir porterait-il malheur ?

Quoiqu’il en soit, « V » aura profondément marqué par sa pertinence et sa vigilance face aux fausses promesses d’un monde entièrement dévoué à la technologie qui fait le mal au nom du bien, et l’hyperbole d’un monde au main de peu de personnes, pour imposer un fascisme « souriant », machiavéliquement incarné par l’inoubliable Diana (Jane Badler).

Une oeuvre à voir et revoir pour son engagement, ses personnages vivants, son humanisme et l’hommage vibrant à la résistance.

Le site officiel de Kenneth Johnson : http://www.kennethjohnson.us/

L’intégrale de la minisérie originale

The Man in the high Castle/ Philip K.Dick – la série mise en abîme

Sous l’heureuse inspiration du producteur-réalisateur Ridley Scott, qui mis le premier Philip K.Dick sur le devant de la scène visuelle avec son chef-d’oeuvre « Blade Runner », cette série adapte un autre des romans phares de l’écrivain, « Le Maître du Haut Chateau » (Prix Hugo 1962) .

Dans cette uchronie où l’Allemagne et le Japon ont gagné la guerre et se partagent l’Amérique, K.Dick fait comme toujours la part belle à une réflexion métaphysique : la réalité d’un monde dirigé par les nazis serait-elle si différente, et en quoi ? Par la minutie du détail, la description du quotidien on rentre dans cette question vertigineuse de la réalité, d’autant qu’un écrivain interdit a écrit un livre où les alliés ont gagné la guerre…

On le voit, ce livre introspectif, lent et peu spectaculaire malgré son « pitch » de départ, était difficile à adapter en série. C’est pourtant un pari des plus réussi : il faut saluer la sobriété de la mise en scène, l’atmosphère en clair obscur reconstituée, et le soin du détail, aussi bien historique que celui cher à Philip K.Dick. Ainsi, on voit avec grande satisfaction que le Y-King est bien présent dans la série, que le ministre Tagomi utilise, ainsi qu’un des plus beau moment de la littérature de science-fiction, celui où il bascule d’un monde à l’autre par le simple fait de chérir un objet par la pensée.

Les détails de cet univers passent bien sûr à travers le filtre du génial Robert Childan, antiquaire tourmenté et larbin malgré lui, propulsé dans la résistance, qui catalyse néanmoins l’évolution de ce monde, où l’amérique est devenue une culture indigène précieuse dont on collectionne les reliques (reliques elles-même souvent fausses)

la caverne d’Ali Baba de Childan

Les scénaristes ont ensuite eu le parti pris non seulement de développer l’intrigue et les personnages principaux, mais également d’en rajouter ; cela permet d’explorer l’univers sans rallonger pour de mauvaises raisons.

Et bien sûr, cet univers fait froid dans le dos : le personnage rajouté le plus fort est sans doute l’officier en chef chargé de gérer la partie « nazie »américaine , le bien nommé John Smith

le petit déjeuner modèle d’une famille américano-nazie « bien comme il faut »

Plus nazi que les allemands, il est la figure du conformisme forcené et de l’arriviste aux dents longues. Dans ce monde égotique fait de complots,il traque les résistants, les juifs, les « sous races », et participe aux intrigues de palais.Il saura trouver sa place malgré lui…

La trame respecte celle originale, mis à part que les résistants ne recherchent pas un livre interdit écrit par le fameux « maître du haut château », caché en zone libre, mais bien des films, montrant la victoire des alliés, et le déroulement d’un univers parallèle.

les livres, objets dangereux

De la même façon que dans le livre, la vie au quotidienne est décrite de façon immersive, que ce soit du côté d’un San Francisco géré par les japonais, que New York côté allemand. Se déroule devant nos yeux ce qu’aurait pu être ce monde de cauchemard : technologique, eugéniste, exploitant les richesses, faisant la part belle aux multinationales…cela rappelle quelque chose.

le futur du IIIe reich…

Si le déroulement de l’histoire des résistants-incarné par Juliana Craine- est viscéral et poignant, entre cachettes, survie, et espoir fou d’un autre monde entraperçu dans ces mystérieuses bandes, l’hypothèse d’une civilisation gérée par les forces de l’axe est également développée : architectures délirantes, services secrets omniprésents, et même guerre froide entre les deux puissances. En parallèle, étalée sur les années 50, on voit les mentalités changer, les jeunes générations, les programmes secrets…la découverte de réalités parallèles va entraîner une course échevelée, et l’on y découvrira un monde, le nôtre, où chacun des personnages aura une vie bien différente, insistant sur le fait que les évènements façonnent les êtres, mais les êtres peuvent développer les mêmes qualités ou défauts selon les situations.

Tagomi perdu dans un monde inconnu : l’amérique capitaliste…>

Et là encore , on est heureux de voir l’ambition de la série, traduisant les vraies questions dickiennes, et pas seulement les ressorts extérieurs, à savoir le contact avec son être intérieur, qui suis je, qu’est ce que la réalité.

Juliana, figure héroique de la résistance

Ce n’est pourtant pas le maitre du haut château, ni les résistants, ni les explorateurs d’univers parallèle qui auront le plus grand vertige existentiel, mais bien l’abominable John Smith, l’âme damnée de ce néo nazisme , ce collaborateur infâme ; il découvrira en effet qu’il aurait pu être une autre personne, avoir une vie de famille différente, à l’abri des tourments du pouvoir et l’acidité de l’ambition démesurée. C’est sa femme, symbole d’une humanité perdue mais qui a encore du coeur, qui lui posera la question face à de nouveaux holocaustes : « comment en sommes-nous arrivés là ? arrêtons »

Ce à quoi John Smith répondra, symbole du pouvoir dans une impasse : « J’aimerai bien, mais je ne sais pas comment faire »

Plaisir cinéphilique, interprétation audacieuse d’une oeuvre pivot de la science fiction, « The man in the High Castle » (disponible en streaming sur amazon) est aussi une oeuvre de son époque, une réflexion de la perversion du pouvoir , du contrôle des peuples, de technologies dévoyées, mais aussi d’espoirs…

Philip K.Dick ‘s Electric Dreams : une série au coeur de l’auteur

 

Il semble que plus les années passent, et plus l’oeuvre de Philip K.Dick intrigue et se concrétise dans diverses adaptations. A ce sujet il faut certainement saluer sa fille, Isa Dick Hackett, soutenant souvent la production de tels projets.

Cette série de 10 épisodes fait la part belle non pas à un roman, dont on sait qu’ils pouvaient avoir une qualité variable selon les périodes traversées par l’auteur, mais retranscrivant directement des nouvelles, exercices dans lequel K.Dick excellait à coucher sur papier ses grandes questions métaphysiques .

Et force de constater que l’esprit et l’univers de l’écrivain sont soigneusement retranscrit (à noter que le développeur de la série est Ron D.Moore, auteur du déjà très inspiré  Battlestar Galactica ), tant sur le fond que sur la forme, avec des effets discrets mais évoquant monde vieillissant et technologie idéaliste, futur disparate entre sociétés en perdition ou quête de sens, mondes en construction, momentanément perdus entre technologies, idéologies et soif de spiritualité.

On retrouve avec grand intérêt des classiques parmi le choix des nouvelles, et si la qualité varie un peu, l’épisode « Human Is » est vertigineux pour son respect du contexte, les effets servant l’histoire, et la paranoïa si chère à Dick, admirablement retranscrite.

autre incontournable,le viscéral « The Father Thing » , matrice d’oeuvres du type « les profanateurs de sépultures (body snatchers) plonge dans l’angoisse existentiel et sur ce questionnement de ce qui est réel, et de comment nous percevons ce qui est faux.

« Autofac » est sans doute l’épisode le plus actuel au sens prophétique, une société ivre de technologie qui a sombré hors de contrôle , et des humains cherchant à repartir en cultivant la nature

« The Commuter » est peut-être la plus émouvante et cristallisant à merveille l’illusion du monde dans sa banalité quotidienne et dans ses petits détails. Il illustre surtout que nous créons la réalité que nous voulons voir et qu’il ne tient qu’à nous de choisir des chemins, tels le choix de prendre différents trains

la critique des sociétés ultra surveillante et matraquant ses citoyens, autre thème de prédilection, est présente dans « Safe and Sound », ou le brutal « Kill All Others », cauchemar eugéniste où l’individu traqué crie toute sa rage face à un monde lisse et mort dans l’âme.

Bref un vrai « kalédickoscope » pour amateurs ou personnes désirant découvrir la pensée riche de Philip K.Dick, entre noirceur et fulgurances platoniciennes.

 

Le  défaut de la série étant le moyen de la visionner, produite par la plateforme Amazon prime, n’existant pas actuellement sous support matériel, le streaming étant le principal moyen de la visionner :

Philip K.Dick et l’aliénation de la figure paternaliste du pouvoir

Si le questionnement métaphysique de ce qu’est la réalité est au coeur de l’écrivain, ce n’est pas la seule thématique récurrente des messages et réflexions que nous livre Philip K.Dick. La figure du pouvoir, paternaliste, apparemment bienveillant, soutenant le monde mais d’où des fissures apparaissent bien vite pour masquer une vision tronquée du monde, voire manipulée ou carrément trompeuse.

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Dès son premier roman « Loterie Solaire », on retrouve ces grands patrons, sociétés multinationales qui se livrent à des guerres sans merci pour des secrets technologiques ou la conquête d’un nouveau pouvoir, le tout dans une atmosphère de décadence climatique du aux excès humains. S’il n’est bien entendu pas le seul écrivain de science-fiction à avoir traité les problèmes d’une évolution des sociétés humaines tendant vers plus de technologies par l’avènement de grands trusts, il n’en est pas moins que la figure du père, de l’autorité, par le biais de la prise de pouvoir d’intérêts privés est brillamment prophétisée dans la plupart de ses écrits, y compris « Le maître du Haut-Château » qui lui vaudra le prix Hugo : dans cette fameuse dystopie où les forces de l’Axe ont gagné la guerre, la question lancinante se dessine, précise comme un scalpel ; si les nazis et les japonais avaient gagné, est-ce que cela aurait changé la puissance des multinationales, qui continuent implacablement leurs commerce et jeux de pouvoir ?

En effet, le contexte de K.Dick est celui des années 50 à 80 soit une époque baignée par la guerre froide, mais aussi l’Etat-Nation et souverain. La bourse est encore la « corbeille » de De Gaulle…et pourtant, K.Dick dépeint des sociétés avec des pays et états effacés, comme dans « La Vérité avant-dernière » ou « Ubik », où clairement des sociétés privées tentaculaires ont développé des pouvoirs sans limite, avec à leur tête des créateurs protéiforme, offrant des services aux populations qui vont des drogues aux gadgets, en passant par la privatisation des objets. A ce titre, la cultissme séquence d’ouverture de « Ubik » où le pauvre Joe Chip essaie de sortir de chez lui, mais ne peut pas car la porte intelligente (« connectée » dirait on auourd’hui) lui demande un paiement alors qu’il est sans le sous !

L’entropie est également un thème récurrent et lié, et l’action humaine par son amoncellement de productions inutiles participe grandement à l’étouffement de mondes souvent à l’agonie.

On pense à la nouvelle « Second Variety », où des armes produites pour une guerre nucléaire finissent par devenir indépendantes et créent elles-mêmes des armes qui n’obéissent à personne, et prennent même l’apparence humaine ! (adaptée au cinéma sous le nom de « Screamers » avec Peter Weller), mais aussi au « Dieu venu du Centaure » (ou les trois stigmates de Palmer Eldritch), avec un programme de drogue et d’hologrammes divertissant les travailleurs confinés sur Mars, popularisé par le mégalomane Palmer Eldritch, tellement puissant dont on ne sait s’il vit encore et sous quelle forme.

Cela nous ramène au sujet de cette figure contestée de l’autorité, qui veut prendre un visage moderne et refuse de vieillir, usant de tout les artifices chirurgicaux pour y arriver, on pense à Glen Runciter de « Ubik », le patron central dont pas un organe ne semble d’origine, et bien entendu ce prolongement de vie quasi transhumaniste est réservé à une élite.

Ces sociétés privées développent souvent des technologies exclusives ou exploitent les dons occultes, comme la prescience, la télépathie ou la précognition (dans Ubik et bien d’autres). Difficile de ne pas penser à la Silicon Valley, son laboratoire exclusif quasi ésotérique et son lot d’inventions qui en font une sorte d’Ile du docteur Moreau moderne, où l’eugénisme ne dit pas son nom et où l’on cherche à vaincre la mort par le transhumanisme comme Icare cherchait à atteindre le soleil. Dans ce mélange de culte du secret, de pouvoir galopant non limité par des arbitres tels que les états, de patrons se fabriquant  leur légende par de la propagande, il faut bien l’avouer, la fiction de Dick ressemble étrangement à notre présent.

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Le fameux et sinistre Palmer Eldritch (du « Dieu venu du Centaure), échappant à toute juridiction, inventant ce qui lui plaît et se donnant les moyens d’augmenter son pouvoir par l’addiction et la promesse de nouvelles technologies pourrait s’incarner dans un Elon Musk , qui n’hésite pas à envoyer dans l’espace intersidéral une voiture à sa gloire, dans un Bill Gates, que personne n’a élu et qui n’a aucune autorité et qui pourtant finance des organisations pour en tirer pouvoir et promettre des vaccins spectaculaires(mais bien entendu avec une certaine obligation derrière et le souhait d’en tirer profit), et encore dans un Carlos Ghosn dont l’évasion rocambolesque est tout à fait « dickienne » : on constatera l’argument de Mr Ghosn qui consiste à juger lui-même que la justice d’un pays souverain et démocratique n’est pas correcte et qu’il va la faire lui-même. Là encore nous avons affaire à des hommes qui soignent leur image, qui promettent et vendent des biens qui semblent améliorer la vie des gens (ordinateurs, voitures, médicaments), mais derrière lesquels planent l’ombre de desseins peut-être inavouables, jouant sur l’espoir et les promesses…Elon Musk Le retour de Palmer Eldritch ? Non, Elon Musk.

Pour achever le tableau subjectif, on ajoutera les propos délirants d’un Hiroshi Ishiguro, professeur japonais obnibulé par les androïdes au point de s’être créé un double de lui même, espérant y « transférer sa mémoire, mais le considérant comme déjà vivant et doté d’une « âme » propre :

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La fourmi électrique ? L’homme truqué ? 

En France ces profils entre narcissisme infini et prophètes en eaux troubles tels que Laurent Alexandre, imaginant que « l’homme vivra bientôt 1000 ans« (décidement ce chiffre est une obsession) existent aussi, et leur influence égocentrique parasitent largement la société.

Faut-il rappeler qu’à l’époque de la découverte de l’électricité, l’homme, émerveillé par ses progrès, s’imaginait déjà défier la mort, et donna naissance au mythe de Frankenstein…

Philip K.Dick n’a cessé de dépeindre une humanité à la dérive, aggripée à une technologie miraculeuse comme un miroir aux alouettes, pour masquer ses défauts tels le portrait de Dorian Gray : manque d’empathie entre les humains, paranoia due à une crise d’autorité, artifices et emplâtres pour échapper au réel, humanité acculée dans une nasse par l’envahissement d’objets manufacturés qui devait apporter l’ordre mais qui amène au chaos…mais au milieu de ce tableau qui pourrait sembler désespérant, une autre réalité cherche à apparaître…les originaux, les personnes douées d’empathie et d’intuition découvre des pans d’un autre univers , ne suivent pas les règles d’un monde intoxiqué ,guidés par une indicible voix intérieure,  et font tomber les murs de l’illusion, comme dans le film « Dark City », dénonçant les mensonges et se retrouvant en eux-même, sortant de la caverne de Platon.

En résumé, ces nouvelles figures de l’autorité, qui ne sont plus les états mais des entreprises privées, ne jouent que pour leur propre intérêt au mépris du peuple, trouvant peut-être parfois de nouvelles avancées mais  obsédées par une croissance infinie au point de créer leur propre culte, ne font que développer une vision monocentriste du monde, et à contrario finissent par révéler d’autres aspects de nous mêmes, refusant de devenir des androïdes « par sécurité » , froids et détachés  du sort de ses semblables. Les héros de K.Dick sont des gens normaux, que rien ne prédisposent à changer de situation, mais qui de fil en aiguille, se posent des questions et finissent par mûrir une autre logique, au mépris du danger et des barrières mentales.

Car comme le dit Nicholas Saint James dans « La Vérité Avant-dernière » : « Nous ne nous laisserons pas faire ».

Rollerball de Norman Jewison : la prophétie des sociétés corporatistes et de l’abrutissement formaté

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Tourné en 1975, ce qui a l’allure d’un film apocalyptique en vogue est en réalité un véritable pamphlet, qui utilise la compétition comme grande allégorie du corporatisme.

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L’idée originale repose sur un jeu imaginaire (et espérons qu’il le reste, quoique la réalité dépasse souvent la fiction ), le « Rollerball, et ce jeu a des règles inventées de toutes pièces pour le film, ce qui lui donne un aspect non seulement crédible, mais quasiment documentaire ; entre patinage, baseball ou hockey sur glace, même l’utilisation des motos et la façon de tenir la balle-que l’on doit encastrer dans un panier-  suivent un règlement aussi précis que sordide. Les joueurs peuvent être blessés, voire tués, sans que le jeu ne s’arrête

Si le décors donne le ton, on devine rapidement l’exaltation fascisante du sport comme défoulement superstitieux et contrôle des masses (le fameux « panem et circenses)

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Mais le coeur de l’histoire est digne des romans visionnaires de politique-fiction, car derrière tout cela encore, le monde s’est globalisé, et des corporations dominent et dirigent le monde, mélange entre états et multinationales qui fait écho hélas à notre époque.

L’histoire nous plonge au coeur d’une équipe et de son joueur vedette (excellent James Caan) , relativement insouciant et fier de ses succès, en lice pour le championnat du monde. Cependant, la star devine qu’on va l’écarter ; dès lors, il comprend qu’il n’est qu’un pion, que tout est décidé, contrôlé, et il finit par en deviner le pourquoi ; dans un monde uniforme et aseptisé, il ne peut y avoir de héros sortant trop de la norme, y compris dans un sport à la vocation mortifère.

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La suite de son cheminement s’apparentera à un exercice initiatique, refusant d’être mis au placard par instinct, puis par libération personnelle, et finissant dans une figure quasi christique , la finale du jeu devenant quasi orgiaque et révélatrice d’une société condamnée à la surenchère jusqu’ à l’absurde : dans une société conformiste, devenir un héros sportif relève de la dissidence…

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Fulgurant et sombre, rythmé intelligement par les différents matchs et ponctués de révélations, « Rollerball » demeure un classique du genre. A noter que le réalisateur Norman Jewison se félicitait qu’en Europe le film avait été bien compris et eu du succès pour son message, tandis qu’aux Etats Unis, le succès venait plus du fait qu’une partie des spectateurs étaient pris par le jeu et souhaitaient presque son existence…

La Vérité avant-dernière, ou l’allégorie de la caverne selon Philip K.Dick

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Paru en 1964 en pleine guerre froide, « The penultimate Truth » demeure un classique de l’écrivain, revisitant superbement la caverne de Platon, dont les thèmes métaphysiques jalonnent l’oeuvre de K.Dick : la réalité n’est pas ce que l’on croit, il faut percer un voile pour y avoir accès, la majorité est laissée dans l’ignorance.

Le début est très percutant : une nouvelle guerre mondiale a eu lieu dans un futur proche entre les deux blocs. Elle a commencé sur les colonies planétaires avant de s’exporter sur Terre. Sauf que…la guerre n’a pas eu lieu. Ou plutôt, elle a duré peu de temps, la population mondiale a été confinée sous terre et fabrique des armes, des « solplombs », pour qu’ils se battent en surface. Sauf que ces solplombs servent de gardes aux gouvernants et puissants qui ont décidé de laisser la population sous terre depuis 13 ans , pour leur « bien », et se partagent la planète qui devient un parc privé grandeur nature, effaçant les stigmates de la guerre. Pour tenir la population, des bulletins télévisés où apparait Talbot Yancy donnent des nouvelles aux confinés. Mais Yancy et-il réel ?

Ceci ne constitue que l’introduction-et n’est nullement un spoil, faut-il le préciser. Autant dire que l’auteur exploite à merveille les possibilités humaines et philosophiques de ce postulat. Faut-il mentir aux gens afin d’éviter le chaos ? (si la population revenait d’un coup, les autorités craignent des débordements et pénuries)

Le récit alterne entre la réalité des confinés et celles des dominants. L’angoisse des groupes humains sous terre, espérant une victoire ou la fin de la guerre, est palpable. Certains remettent en question ces allocutions télévisées…Afin de sauver un des siens, Nicolas Saint James décide de remonter à la surface pour  trouver un « grefforg », un organe de substitution…mais ce qu’il trouvera là-haut sera bien différent de ce qu’il imaginait.

Du côté des hommes de pouvoir, qui se pensent assainit par les évènements et réfléchissent à comment doser les informations afin de gérer le futur retour à la surface-sous contrôle, ceux qui remontent sont immédiatement parqués dans des zones précises-il n’y a pourtant rien de nouveau ; conflits entre compagnies privées, lutte de pouvoir et assassinats…qui contrôle la réalité ? les retournements de situations vont s’avérer particulièrement vertigineux, avec le mystérieux David Lantano, un nouveau « yancee » (ceux qui font les discours de Talbot Yancy) , qui semble en savoir plus que Brose ou Runcible, et perpétue l’éternelle pyramide du pouvoir, pourtant plus vacillante qu’il n’y parait.

On notera également le soucis du détails de K.Dick dans la fabrication littérale d’illusions ; ainsi, non seulement pour tenir le peuple mais aussi pour ces luttes d’intérêts, l’histoire du passé est minutieusement modifiée, avec de faux journaux antidatés et vieillis, de faux artefacts archéologiques destinés à apaiser les soupçons, ou d’apaiser les différentes sensibilités et pays.  Sauf que des erreurs se glissent, même dans l’illusion…

« La vérité avant-dernière », avec son charme compassé, ses faux airs de science-fiction d’espionnage apocalyptique, et son questionnement tragique sur la diffusion de l’information et la réalité qu’elle génère, est plus que jamais d’actualité, comme l’oeuvre de Philip K.Dick en général.

L’invasion des profanateurs de sépultures : la liberté et la fabrique du consentement

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La première version des « Profanateurs de sépultures » (Invasion of the Body Snatchers) de Don Siegel en 1956 demeure la plus évocatrice, quel que soit l’intérêt des versions ultérieures, car elle contient une force viscérale liée à la forme, de splendides éclairages, et au fond, admirablement développé dans ce qui ressemble à une série B, mais avec un discours des plus éloquent sur la manipulation des masses, et au-delà, questionne sur la réalité, la prise de conscience que notre destin n’est pas forcément entre nos mains…

Bien que lié au contexte de la guerre froide, ce film fait partie de ceux qui arrivent à le dépasser, avec un message universel sur la liberté, la volonté d’aimer, et le conformisme organisé.

Mené tambour battant, l’histoire commence par un récit en voix off d’un rescapé pris pour un fou (l’excellent et trop méconnu Kevin McCarthty, acteur récurrent dans « Les Envahisseurs »), racontant petit à petit comment il s’est aperçu que quelque chose clochait dans son entourage de sa bourgade tranquille, pour découvrir l’indicible : des semences poussant dans les sous-sol remplacent peu à peu les humains originaux par des « copies » aseptisées et obéissantes.

Ce schéma est connu et l’oeuvre a largement contribué à le vulgariser, mais il est sublimé par un grand travail de photographie et d’éclairage, donnant des clairs obscurs et contrastes qui augmentent la dramaturgie et l’angoisse

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La tension augmente subtilement avec le doute , ébranle les certitudes de Miles(le bien nommé Kevin McCarthy) sur son entourage, et bascule dans la paranoia, quand la réalité dont il a été témoin est démentie par les autorités.

Ce n’est pas trop extrapoler que de dire que l’oeuvre, en plein maccarthysme, invite à désobéir et à braver l’autorité, le FBI ou la police, surtout quand celle-ci travestit la réalité, poussant Miles (et le spectateur) à mûrir et prendre ses propres décisions.

Sa lucidité lui permettra de découvrir que sous ses apparences banales, le monde est téléguidé par des puissances occultes (ou extraterrestre, peu importe le prétexte) , afin d’affaiblir la volonté des gens, les policer, et éviter tout débordement émotif incontrôllable comme l’amour, la destinée, le libre-arbitre. On peut y voir une analogie avec les lobbies d’aujourd’hui, le marketing à outrance, les multinationales et leur stratégie froide et prédatrice dans leur mentallisation.

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L’usine « fabriquant » les semences , tout un symbole…

Le spectateur, tout comme Miles, apprend à voir sans être vu, et fait face à sa conscience ; lors de la superbe confrontation finale, la lâcheté est clairement sollicitée, poussant nos héros à ne pas s’endormir (au sens littéral du terme !) afin de garder leur âme, quitte à traverser de grandes et difficiles épreuves.

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Un classique du genre, nerveux et élégant, qui préfère la suggestion au grand-guignol, dont le message est -hélas- plus qu’actuel, et que l’on revoit avec plaisir et intérêt.